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Expositions

Turin fait le tour de l'Afrique

Avec près de cinq cents objets, l'exposition sur le continent noir, présentée à la Galleria d'arte moderna, est l'une des plus ambitieuses jamais réalisées.


Sapi, Maître de l'exécution
symbolique, (Sierra Leone),
salière en ivoire , XV - XVI è s.
25 cm, coll. privée.
TURIN. Le projet était porté depuis longtemps par Ezio Bassani, il a enfin abouti. Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, les liens entre l'art africain et les avant-gardes du XXe siècle ne constituent qu'une petite section de l'ensemble. La présence de quelques œuvres de Derain ou Man Ray permet à tout le moins de justifier la présentation d'une telle rétrospective dans une galerie d'art moderne. Pour faire de l'espace aux pièces venues de nombreuses institutions étrangères, il a fallu déménager une partie de la collection permanente, une pratique peu commune dans un musée public. Tous les grands «classiques» sont présents, notamment les dogons avec des sculptures qui remontent jusqu'au XIIIe siècle, les bronzes du Bénin ou des statuettes de fétiches qui montrent l'extraordinaire utilisation des ressources locales : perles, tissus, résine, coquillages, dents, graines, clous et fragments de verre apportés par les colonisateurs.

Surprenants ivoires
La mise en scène est théâtrale. Plongé dans la pénombre, le visiteur voit surgir des cubes de verre. Une tête, un fétiche, un masque y sont violemment éclairés et parfois nimbés d'une musique spécialement composée pour l'occasion. Certaines vitrines constituent de véritables révélations. On connaissait les ivoiriers dieppois mais que dire des artisans de Sierra Leone, qui ont sculpté aux XVe et XVIe siècles, avec un tel savoir-faire, les défenses d'éléphant ? Cuillères, salières, oliphants et autres morceaux de bravoure évoquent cette dimension pointilleuse, cet esprit de finesse de l'art africain, rarement mis en avant et que l'on retrouve dans les bronzes Edo du Nigéria, ciselés comme des pièces d'orfèvrerie.


Rafin Kura, Nok (Nigéria), 500
à -200 ans av J.C., terracotta,
36 cm, Garky-Abuja, National
Museum of Lagos
Les Nok, cousins de Praxitèle ?
Pleine de belles pièces, l'exposition semble malheureusement un peu honteuse de ses prétentions encyclopédiques. On a l'impression que le souhait légitime de faire ressortir la dimension esthétique de l'art africain - qui est, par ailleurs, largement reconnue - ait amené à modérer les ambitions didactiques. Ce très ample panorama qui se développe sur plusieurs étages conservera, pour beaucoup de néophytes, tout de son mystère. Les cartels commandés à un griot de Lyon, Ahmadou Kourouma, sont certes poétiques et reposent à bon droit le problème crucial de la colonisation et de ses effets. Mais ils nous laissent sur notre faim quand il s'agit de comprendre le miracle créatif des têtes nok, contemporaines de la Grèce de Périclès - Frobenius pensait qu'elles étaient l'œuvre d'artistes grecs venus de l'Atlantide ! - ou des bronzes Ife du Nigéria, pendants de ceux de Verrocchio dans l'Italie renaissante…


 Rafael Pic
29.11.2003