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Marché

Imbroglio autour du vrai-faux Lautrec

Une toile présentée comme le complément des compositions du Moulin Rouge devait passer aux enchères hier à Montauban. Le Conseil des Ventes a interdit sa vente in extremis.


Henri de Toulouse-Lautrec
© D.R.
MONTAUBAN. Voir passer une œuvre estimée 3 millions d'euros n'est pas chose fréquente en province. Mais Montauban semblait en l'occurrence une place justifiée pour ce Toulouse-Lautrec au Bal du Moulin Rouge : le peintre est natif de la proche Albi, où un musée lui est consacré. Et le désintérêt marqué de cette institution pour l'œuvre proposée le 9 décembre constituait un bon aiguillon pour le commissaire-priseur, maître Robert Féraud. Un désintérêt incompréhensible pour l'expert, Louis Barbier : «Ils se fondent sur une analyse ancienne, sur un avis qui a été rendu il y a quelques dizaines d'années, à partir d'une photographie noir et blanc. Moi non plus je n'y croyais pas, la photographie ne restitue pas l'œuvre. J'ai dû me déplacer pour être convaincu. Cette toile est un véritable monument historique !» On ne saura pas comment aurait réagi la salle. Car le Conseil des Ventes, l'organisme de contrôle de la profession, a procédé à une intervention d'urgence juste avant le début de la vacation. Un peu comme une interruption de cours en Bourse : il a suspendu provisoirement l'activité de l'étude France enchères Art pour ce fameux lot 162. Les objections formulées par la conservatrice du Musée Toulouse-Lautrec ont, semble-t-il, été prises au sérieux par l'instance de régulation. Danièle Devinck souligne que cette œuvre est considérée comme un faux par l'auteur du catalogue raisonné. Le Conseil des Ventes a sanctionné le défaut d'assurance : Generali, la compagnie de l'étude, a en effet refusé de se porter garante de cette œuvre douteuse pour les montants annoncés.

Déchiffrer les jupes de la Goulue
Toulouse-Lautrec au bal du Moulin Rouge est de dimensions imposantes - 1,94 m sur 2,70 m. Pour Louis Barbier, c'est le pendant des deux célèbres compositions qui se trouvent au Musée d'Orsay. L'ensemble composait le décor du théâtre que la Goulue, la célèbre danseuse de cancan, avait monté en 1895 à la Foire du trône, après son départ du Moulin-Rouge. Ce bâtiment avait une façade de neuf mètres de long et sept mètres de profondeur. Les toiles du Musée d'Orsay représentaient le décor extérieur et l'œuvre qui soulève la polémique un décor intérieur. Cette toile n'était pas tendue sur un châssis. Se présentant comme un calicot forain à dérouler, elle était simplement rigidifiée en haut par une tringle et en bas par une baguette plombée qui servait à la tendre. Quel est son état de conservation ? «Il est très bon. En effet, la Goulue a travaillé très peu de temps à la foire du Trône. Peu après avoir ouvert son théâtre, elle est tombée enceinte et a abandonné son activité. Tous les tableaux qui décoraient sa scène n'étaient pas de Toulouse-Lautrec. On ne sait d'ailleurs pas ce qu'ils sont devenus. Celui-ci a été conservé par un peintre de Montmartre, Lucien Mainssieux. Puis le hasard des successions fait que ces œuvres passent en salles des ventes» poursuit Louis Barbier. L'œuvre apporterait un éclairage sur l'iconographie facétieuse de la Belle Epoque, sur son goût pour les calembours et les charades. On trouve en effet dans les jupes de la Goulue plusieurs «images cachées», comme celles que l'on doit déchiffrer sur les images d'Epinal : Jane Avril, May Belfort mais aussi un corbeau et un renard, etc. Reste à déchiffrer la principale charade : cette toile est-elle vraie ou fausse ?


 Pierre de Sélène
Rafael Pic
10.12.2003