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Marché

Offrez-vous un cabinet de curiosités

Un tamanoir, une vache à six pattes ou une râpe à tabac ? Une vente chez Artcurial se lit comme un inventaire à la Prévert.


Tamanoir à crinière (ou grand
fourmillier), Myrmecophaga
jugata. Naturalisé. H. 49 cm;
L. 166 cm. Est. : 8 000 / 9 000 €
PARIS. Au XVIIIe siècle, dans l'Europe des Lumières, les bons esprits se faisaient un devoir de visiter les cabinets de curiosités. Ceux-ci rassemblaient des merveilles de la nature - animaux malformés, dents fossiles de requins, agates et coquillages - ou des chefs-d'œuvre inattendus comme des sculptures microscopiques sur des noyaux de pêche. Les discussions que l'on y menait étaient souvent subversives : on n'hésitait pas à remettre en cause la date officielle du Déluge de 4004 av. J.-C… La démarche qui présidait à la constitution de ces ensembles pittoresques semble faire de nouveaux émules. «Nous organisons deux ventes par an, explique Isabelle Boudot de la Motte, d'Artcurial, en mai et en décembre. Nous y avons vu passer de belles collections, comme celles de Continat et Lafond, avec leurs pots à pharmacie. La demande va d'ailleurs nous conduire à organiser une troisième vente à Drouot. Certains collectionneurs ne veulent vendre que là !»


Squelette de chien, noix, portrait d'un
personnage de cour, globe terrestre,
albarello de Laterza, albarello de Talavera.
Un mâche-bouchon, pour quoi faire ?
«Ces ventes permettent aussi de proposer des objets variés, qui entrent difficilement dans le cadre des ventes cataloguées.» Dans la vacation du 17 décembre, le choix est en effet très riche. On y trouve les habituels albarelli, pour lesquels les estimations varient entre 600 et 6 000 euros (un exemplaire palermitain du XVIIe siècle, attribué à Passalacqua). Puis des mortiers, en bronze, en fonte de fer, en bois, fort accessibles, à partir de 100 euros (Espagne, XVIIe siècle). La zoologie est représentée par d'étranges animaux naturalisés - lamproie marine, iguane, tatou à neuf bandes découvert par Humboldt en Amérique du Sud ou un superbe tamanoir, qui fut autrefois vif dans un cirque (7000 euros). Autrement plus économiques sont les spectaculaires rostres de poisson-scie (120-200 euros). Les râpes à tabac (on s'en servait pour les carottes de tabac) ont de nombreux adeptes, prêts à pousser les enchères à plusieurs milliers d'euros. Il faudra probablement débourser une belle somme pour deux bustes en bois peint d'un goîtreux et d'un «crétin des Alpes» (Savoie, XVIIe siècle, estimation : 8 000 euros).

Crocodile à attendrir les bouchons
Autres curiosités : les mâche-bouchons ou cette trousse à poconeols. «Les premiers se trouvaient couramment dans les pharmacies il y a encore une trentaine d'années précise l'expert, Robert Montagut. Ils étaient vissés sur le comptoir et servaient à attendrir les bouchons en liège des flacons. On soulevait la queue du crocodile et on plaçait le bouchon neuf dans un anneau cannelé. Quant à l'usage des poconeols, cela rejoint l'homéopathie d'aujourd'hui. La trousse que nous proposons contenait 82 flacons avec autant de sels indiqués pour soigner diverses affections. La seule différence est que l'ordonnance était faite par un radiesthésiste. C'est le mouvement du pendule qui indiquait le numéro du flacon à utiliser !» Pour les non-initiés, la seule sonorité de noms parfois énigmatiques vaudra passeport pour le merveilleux. Piles à godets, moules à gants de ménage, fourchette à découper à système, épissoir, étalon à vin, chauveau à huile, bain d'œil, biberon pour agneau, calibreur de filet de pêche agréé par les Ponts et Chaussées… Même sans mettre la main au porte-monnaie, il y en a pour les poètes et les amateurs de mots croisés.


 Charles Flours
17.12.2003