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Expositions

Burki fouille notre quotidien

Le Musée du Grand-Hornu consacre sa première exposition monographique à la vidéaste Marie-José Burki, qui s'attache aux petits moments de l'existence.


Marie-José Burki, Trio, 1994
© Mac's Hornu
Si certaines œuvres sont déjà connues du public (Mais que pouvait bien raconter saint François aux oiseaux a fait l’objet d’une exposition au Musée d’art et d’histoire de Genève en 2000 ; en 1997, A dog in my mind était présenté à Salzbourg), d’autres sont totalement inédites et spécialement mises en scène pour l’occasion. Marie-José Burki, artiste suisse, née en 1961, vit à Bruxelles depuis de nombreuses années. Ce sont quelque quinze installations vidéographiques qui parcourent quasiment deux décennies de création. Elles ornent les deux salles de la Maison des ingénieurs, la «salle-pont», toute en longueur, dotée, d’une partie du sol vitrée, ainsi que la «salle carrée», équipée qu’une lumière zénithale très étudiée. Ces espaces, modulables à volonté, ont été étudiés dans leurs moindres caractéristiques : volumétrie, coefficients de transmission des parois ; surfaces transparentes et translucides, mises au point en se basant sur le calcul de l’impact de la lumière du jour. Des lieux où rien n’est laissé au hasard, où tout est bâti en fonction de la lumière (exposition plein sud, est-ouest et nord) selon les règles de Le Corbusier. L’espace a été modifié, la lumière détournée, masquée la plupart du temps, afin d’héberger les œuvres de Burki.

Avoir une race ou pas
Des scènes de vie quotidienne, familières, accueillent le spectateur, mais privées de leur contexte, affublées de sons qui ne leur appartiennent pas (Dans A dog in my mind, Burki filme la chute successive d’un poisson, d’un vase, d’un ballon : tous produisent le même bruit en heurtant le sol ; en fond sonore, des rires d’enfants, extraits d’un film des années 1940, passent en boucle, un peu plus agaçant et factice à chaque fois), ils revêtent une nouvelle signification. Des tranches de vie, des instants volés, rien que du banal, qui révèle pourtant le chaos du quotidien, son esclavagisme, les questions existentielles qui sont le sort de tout un chacun. Quelle est la vraie signification de la vie ? De ses rituels, de ces gestes répétés chaque jour ? L’installation De nos jours, où trois projections de scènes filmées en extérieur, dans un parc, se croisent et s’emmêlent, semble faire écho à l’œuvre de Gauguin, D'où venons-nous ? Que sommes-nous? Où allons-nous?. Déjà, à l’entrée de l’exposition, une vidéo montrant un petit chien bâtard, imperturbable, assis, forcé d’écouter la longue litanie des races de chien répertoriées auxquelles il n’appartient évidemment pas, invite le spectateur à la réflexion : que sommes-nous, au sein d’une société donnée, sans étiquette ni classification ?

Le dîner de comédiens
Un peu plus loin, l’installation Mais que pouvait bien raconter saint François aux oiseaux diffuse ses images en apparence anodines : autour d’un repas gargantuesque, des comédiens aux nationalités diverses entament une conversation, en anglais. Les disparités s’effacent, une communion se fait autour des victuailles, symbolisée par la parole et l’échange de ces plats qui circulent de mains en mains. Les voix se mélangent, dissociées des visages, générant à la fois une sorte de confusion et un sentiment familier. Puis le spectateur devient encore un peu plus voyeur, acteur d’une installation composée de trois vidéos de prostituées de Gand et d’Amsterdam, en «vitrine». Au centre de la pièce, le voici forcé d’intervenir car son ombre se projette obligatoirement sur l’une des vidéos. Il en devient ainsi acteur : est-ce à nous que sourit cette femme ? Gênés ou amusés, les visiteurs sont en tous les cas intrigués. Burki filme notre vie au ralenti, parfois avec cruauté, mais jamais sans intérêt.


 Elodie Palasse
14.02.2004