Accueil > Le Quotidien des Arts > Twombly ou l’éloge du gribouillage

Expositions

Twombly ou l'éloge du gribouillage

Cinquante ans de dessins d'un genre très particulier : le Centre Pompidou consacre une rétrospective à l'artiste américain.


Bolsena, 1969, mine de plomb
et crayon de couleur sur papier,
70 x 100 cm. Collection particulière
© Cy Twombly
PARIS. On ne sait pas très bien où classer Cy Twombly, ce peintre américain très secret, qui a vécu une bonne partie de sa vie en Italie. Son œuvre irrite beaucoup de monde, avec ses allures de «rough» brouillonné en quelques secondes, de graffiti illisible, de dessin d'enfant maladroit. Mais en parcourant les salles du 4e étage du Centre Pompidou - dans un espace bien plus étendu que ce qui a pu être fait récemment pour les dessins d'Otto Dix - les réserves devraient tomber. Twombly, depuis plus de cinquante ans (il est né en 1928, à Lexington, en Virginie), ne recherche qu'une chose : le signe. Se moque-t-on des hiéroglyphes ou des gravures rupestres ? Non. Il n'y a pas davantage de raison de tourner en dérision ces griffures, coulures, taches, emmêlements, ratures que l'artiste applique sur des papiers assemblés à coup d'agrafes et de ruban adhésif. Deux anecdotes de sa biographie sont éclairants. En 1952, Twombly a fait son service militaire dans le chiffre : le code, le symbole crypté l'ont durablement marqué. Certaines de ses feuilles ressemblent à une description ésotérique de la Grande Pyramide ou du Temple de Salomon. Du moins peut-on ainsi lire ces théories de nombres et de quadrilatères griffonnés sur le papier brun de la série des Bolsena.


Proteus, 1984, acrylique, crayon de
couleur et mine de plomb sur papier,
76 x 56.5 cm. Collection particulière
© Cy Twombly
Découvrir Twombly par les fleurs
Seconde anecdote : en 1961, des enfants s'introduisent dans son atelier à Mykonos et détruisent les dessins qu'ils y découvrent. Cette réaction brutale prouve que Twombly n'était pas de leur monde. C'est un peu comme pour Mirò : il s'agit d'images faussement naïves, qui plongent dans notre patrimoine commun de signes : tiges, cercles, mandorles à connotation sexuelle, vagues et enroulements, encoches qui pourraient être statistiques de bétail, comptes à rebours d'un calendrier rituel ou échelles pour l'au-delà (comme dans les plus anciennes créations exposées, ces Sans titre de 1953). Mêlant, selon les époques, pastel, acrylique, crayons, collages, Twombly parsème la surface de noms antiques, en anglais avec quelques caractères grecs : Venus, Apollo, Proteus - ce n'est pas pour rien qu'il a appelé son fils Alexandre Cyrus… Et s'il balance ainsi entre expressionnisme abstrait et conceptuel, il n'est jamais loin du figuratif. Dans ce dernier registre, la salle des fleurs est convaincante. Autour du seul bronze de l'exposition, on voit des pétales, des corolles chiffonnées, des iris bouillonnant de couleurs, qui font penser à certaines esquisses aquarellées de Rodin. C'est frais, c'est plein de vie, c'est relativement récent (années 1980-1990) et c'est sans doute la meilleure porte d'entrée à l'œuvre de Twombly.


 Pierre de Sélène
21.01.2004