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Expositions

Les cadavres ne portent pas d'autorisation

Alors que le professeur von Hagens inaugure une nouvelle exposition de corps «plastinés», le magazine Der Spiegel soutient que certains de ces écorchés ont été réalisés sans autorisation, avec les cadavres de condamnés à mort.


Le Joueur de basket-ball
© Institut für Plastination
BERLIN. C'est un phénomène de société : le professeur Gunther von Hagens, casquette à la Joseph Beuys éternellement vissée sur le crâne, semble avoir inventé la poule aux yeux d'or. Par une technique qu'il a baptisée du nom de plastination, il vide les cadavres de leurs fluides et les rend à une nouvelle vie en y injectant des résines. Il peut ainsi les mettre en scène dans des activités généralement interdites aux défunts : dribbler devant un panneau de basket-ball, surfer face à un écran d'ordinateur, dompter un cheval… lui-même «plastiné». Selon les indiscrétions qui circulent, la liste d'attente des gens souhaitant subir cette transfiguration après leur décès est fort longue. Certains souhaiteraient même ardemment être exposés pour contribuer à l'avancement de la science. La dernière rétrospective, qui vient d'ouvrir à Francfort, promet d'être un succès. Sur le site www.korperwelten.de, les statistiques sont mises à jour toutes les heures. On y apprend qu'il fallait deux heures d'attente dimanche 18 janvier à 15h et que la fréquentation, huit jours après l'ouverture, atteignait quasiment 20 000 visiteurs. Selon les chiffres publiés par l'hebdomadaire Der Spiegel, depuis 1997, 13,8 millions de personnes ont déjà payé 12 euros pour accéder à ces expositions. Ce qui, si les calculs sont exacts, signifierait une fréquentation équivalente à celle d'un très grand musée (le Prado reçoit 2 millions de visiteurs par an) et un chiffre d'affaires de quelque 150 millions d'euros, soit un milliard de nos anciens francs.


Le Cavalier et son cheval
© Institut für Plastination
Ascenseur pour la plastination
Certaines réactions sont parfois violentes : l'an dernier, la rétrospective à la galerie Atlantis, à Londres, avait été accompagnée par une autopsie en direct à la télévision, sur Channel 4, qui avait suscité une levée de boucliers. Le magazine allemand formule une accusation plus grave. Contrairement à ce qu'il affirme, le professeur von Hagens ne recruterait pas que des cadavres «consentants», c'est-à-dire ayant été donnés, avant leur mort, par leur légitime propriétaire. Devant travailler en flux tendu, tant la demande est forte, les entreprises du professeur, en Chine et au Kirghizistan, ne surveilleraient pas d'assez près leurs sources d'approvisionnement. Des corps provenant de morgues leur auraient été vendus, sans formalités excessives, par des intermédiaires. En Chine, c'est l'administration pénitentiaire qui est pointée du doigt. Elle aurait cédé les corps de condamnés à mort, en particulier ceux d'un jeune homme et d'une jeune fille exécutés d'une balle dans la tempe. Jeudi 22 janvier, lors d'une conférence de presse, Gunther von Hagens a reconnu que certaines acquisitions n'avaient peut-être pas été régulières. Il n'a toutefois pas fourni de chiffres précis sur le nombre de plastinations réalisées pour ses expositions, pour ses clients privés ou pour les hôpitaux et les universités. Il s'est insurgé contre les normes en vigueur en Europe, rappelant qu'aux Etats-Unis, le corps d'un condamné à mort pouvait être étudié librement sur internet. Le parfum de scandale qui entoure l'activité du professeur von Hagens n'est certainement pas pour lui déplaire. Il ne devrait en tout cas pas ralentir son projet majeur : un «Musée de l'homme» où exposer de façon permanente ses centaines d'écorchés…


 Rafael Pic
23.01.2004