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Patrimoine

Adieu à la Muraille de Chine ?

Le monument le plus célèbre d'Asie a résisté aux envahisseurs et aux tremblements de terre. La menace qui pèse aujourd'hui sur lui est autrement sérieuse.


© William Lindesay
PEKIN. Construite en plusieurs tronçons, au long de deux millénaires, la Grande Muraille de Chine continue d'impressionner par la seule magie des chiffres. Cela durera-t-il longtemps ? Un article de l'agence de presse Xinhua a récemment lancé l'alarme. Selon ses auteurs, les deux tiers de la muraille, soit plus de 4000 kilomètres sur un total de 6350 kilomètres, sont en passe d'être gommés de la surface de la Terre. Les assauts auxquels le monument doit faire face sont variés. «A l'époque de la Révolution culturelle, Mao encourageait les paysans à prélever des briques sur la muraille pour construire leurs fermes», explique Henry Ng, vice-président de l'organisme international World Monuments Fund. Apparemment, ces temps ne sont pas entièrement révolus. En décembre 2003, dans la province du Hebei, un promoteur immobilier a démoli une partie du mur dans le cadre d'un projet de villas et l'a reconstruit en béton armé… M. Zhou Wen n'a pas compris pourquoi on l'avait puni d'une amende de 100 000 yuan (environ 10 000 euros) : «J'ai simplement voulu réparer le mur et l'empêcher de se détériorer» a-t-il confié aux reporters de Xinhua.

Monument très menacé
Un Britannique passionné, William Lindesay, a récemment créé l'association «International Friends of the Great Wall». Parmi ses initiatives les plus spectaculaires, il faut citer les quatre «journées de nettoyage» qui ont vu plusieurs centaines de volontaires débarrasser certains tronçons de tonnes d'immondices. Mais que faire contre les pancartes qui s'accumulent, les graffitis, les constructions illégales ou les installations de téléphonie mobile sur certains bastions ? Quant au tourisme, c'est probablement l'ennemi numéro 1. Des dizaines de millions de personnes visitent le mur chaque année et cette pression est appelée à se développer de façon exponentielle avec le développement du tourisme. Le segment le plus fréquenté est celui de Bandaling, près de Pékin, qui date de l'époque Ming (XIVe-XVIIe siècles). Géré par une société privée, c'est un gigantesque Luna-park avec auto-tamponneuses et autres attractions foraines. Inscrite par l'Unesco sur la liste du patrimoine mondial depuis 1987, la Grande Muraille bénéficie depuis 2002 d'un privilège moins glorieux. Elle est tête de liste des monuments les plus menacés du monde, selon le classement établi par le World Monuments Fund.

Trop loin de la Lune
Cette mesure ne semble pas avoir irrité le gouvernement chinois, qui a au contraire pris conscience de la gravité de la situation. «Un ensemble de lois a été voté très récemment, poursuit Henry Ng. Celles-ci imposent notamment une zone non aedificandi de 500 mètres aux abords du mur.» Il s'agit là de standards occidentaux. Toute la question est de savoir s'ils seront respectés. «La sauvegarde du monument passe avant tout par une prise de conscience de sa valeur par ses riverains. C'est une question d'éducation.» Et d'argent, aussi ? «L'argent est bien sûr important mais il ne va pas tout régler. Nous avons apporté une première contribution de 50 000 dollars pour réfléchir à des approches de protection. Un projet pilote de restauration d'une tour va prochainement être lancé. Nous pourrons aider à trouver des fonds auprès du secteur privé.» Plus que d'un assemblage de pierre et de brique, la Grande Muraille, inséparable des collines et des montagnes avec lesquelles elle fait corps, est un véritable «paysage culturel». Les Chinois, qui l'ont trop longtemps négligée, ont enfin pris conscience de son importance. La remarque d'un astronaute a pesé lourd dans ce processus. Le Guardian rapporte qu'un voyageur en orbite n'a pas réussi, l'an dernier, à l'apercevoir de son hublot. La fierté nationale en a pris un coup, la légende ayant toujours prétendu que la Muraille était visible depuis la Lune.


 Pierre de Sélène
09.02.2004