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Marché

100 millions de dollars la douzaine d'œufs

La très attendue vente de la collection Forbes chez Sotheby's a fait long feu : un richissime oligarque russe s'est emparé des chefs-d'œuvre de Fabergé.


L'Œuf du Couronnement, 1897
estimation : 18 / 24 millions $.
NEW YORK. L'effet de surprise a été spectaculaire. Le 8 janvier 2004, la maison Sotheby's annonce en grande pompe qu'elle va vendre la collection Forbes d'œufs de Fabergé, la plus importante au monde. Moins d'un mois plus tard, le 4 février, Sotheby's fait savoir que la vente est annulée. Pour un bon motif : un acheteur privé a décidé, avant le premier coup de marteau, d'emporter le tout. Victor Vekselberg, 47 ans, dont le nom n'apparaissait jusqu'à présent que dans les gazettes financières, est le «chevalier blanc» qui ramène en Russie ces objets emblématiques de la civilisation tsariste. Une approche plus «patriotique» que celle de Roman Abramovitch, qui avait acheté il y a quelques mois le club de football de Chelsea, et qui devrait lui valoir la sympathie du Kremlin. La collection Forbes avait été estimée à 90 millions $ par les experts. On peut donc légitimement supposer que Victor Vekselberg a déboursé au moins cette somme, peut-être 120 millions d'euros. D'où vient cette fortune ? se demandera-t-on. L'homme fait partie de ces nouveaux oligarques de l'industrie russe. Il siège dans divers conseils d'administration et contrôle la troisième compagnie pétrolière du pays, TNK, qui a conclu avec BP le plus important contrat privé jamais signé en Russie.


L'Œuf du XVe anniversaire, 1911
estimation : 10 / 15 millions $
24 millions $ pour l'Œuf du Couronnement ?
Que contient cette collection Forbes, amassée par le magnat de la presse aujourd'hui décédé ? D'abord, neuf œufs impériaux, les plus convoités. Le joaillier Peter Carl Fabergé (1846-1920), descendant de huguenots français, en a produit cinquante entre 1885 et 1917 pour les tsars Alexandre III et Nicolas II, qui en faisaient ensuite don à leurs épouses respectives, notamment à l'occasion des Pâques russes. Le plus beau de la collection Forbes, l'Œuf du Couronnement de 1897, a été évalué par Sotheby's entre 18 et 24 millions de dollars. Un chiffre qui aurait pu s'avérer, le record étant jusqu'à présent détenu par l'Œuf d'Hiver, créé en 1913, agrémenté de trois mille diamants, adjugé pour 9,6 millions $ en avril 2002 chez Christie's. Outre ces œufs d'exception, le fonds Forbes comprend deux cents autres créations de Fabergé. Les enchérisseurs potentiels pourront se consoler - ou se mortifier - lors d'une exposition temporaire que le nouveau propriétaire a concédé à Sotheby's (du 12 au 15 février). Pour la suite, rien n'a encore été annoncé, le bureau de presse de Victor Vekselberg se contentant d'affirmer que la collection serait accessible au public russe.


L'Œuf à l'Oranger, 1911
estimation : 10 / 15 millions $
Le Kremlin en tête
Ce coup d'éclat bouleverse le hit-parade des possesseurs d'œufs impériaux. Le Kremlin ne conserve la tête qu'avec un court œuf d'avance sur Vekselberg : dix contre neuf. Ce qui en soi n'est pas un mince exploit quand on sait l'estime que Staline avait pour ces chefs-d'œuvre d'orfèvrerie. Il en aurait vendu certains à l'étranger pour moins de 500 dollars. La troisième marche du podium est occupée par une institution inattendue : le Virginia Museum of Fine Arts. Ses cinq œufs lui ont été données par l'épouse de John Lee Pratt, un dirigeant de General Motors, qui les avait réunis entre 1933 et 1945. Suivent, entre autres, la reine Elizabeth (trois), la fondation suisse Sandoz (deux), le prince Rainier (un). Armand Hammer, le millionnaire rouge, fut l'un des premiers passeurs d'œufs vers l'Occident grâce à son amitié avec les dirigeants communistes dans les années vingt. Il en compta jusqu'à onze mais sa famille ne figure plus aujourd'hui dans le hit-parade. Enfin, huit œufs n'ont jamais été retrouvés. Cela laisse du travail aux chercheurs de trésors. Au cours actuel, il vaut mieux trouver un œuf que fouiller la moitié des galions du rio de la Plata…


 Rafael Pic
05.02.2004