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Bernard Buffet mérite-t-il son musée ?

La galerie Maurice Garnier milite pour la création d'un musée en l'honneur d'un peintre aussi connu que discuté.


Paravent aux nus, huile sur toile,
1960, 178 x 190 cm
© Galerie Maurice Garnier
PARIS. Malgré le décès de Bernard Buffet en 1999, la tradition du vernissage de février, avenue Matignon, a été maintenue. Chaque année, à la Chandeleur, le galeriste Bernard Buffet honore son peintre fétiche d'un accrochage chronologique. Cette année, ce sont des toiles de la période 1960-1964 qui sont montrées. Le titre du catalogue est explicite : «Tableaux pour un musée». Où en est-on de ce musée que le marchand appelle de tous ses vœux ? «Un projet à Colmar, dans un ancien hôpital, n'a pas abouti, explique Maurice Garnier. Mais nous n'avons pas de regrets car les lieux n'étaient pas aux normes et n'avaient pas une hauteur de plafond suffisante pour une bonne présentation des œuvres». Dans l'ensemble que Maurice Garnier entend donner au futur musée, il existe effectivement un certain nombre de grands formats. Mais pas seulement : la collection est imposante avec plus de trois cents huiles sur toile, 165 aquarelles, un exemplaire de toutes les lithographies et gravures et de tous les livres illustrés, ainsi que quelques paravents. «Et, en outre, 56 ans d'archives de la galerie, poursuit Maurice Garnier. C'est un cas unique qu'un artiste soit ainsi suivi par le même marchand sur une aussi longue période. Depuis 1948…»

Buffet tendance hip hop
Bernard Buffet intéresse les collectionneurs. Ses records le classent honorablement parmi les artistes français du XXe siècle : il a atteint la barre des 5 millions de francs aux enchères dans les années 1980. En 2002, malgré une décote certaine, 25 de ses œuvres ont dépassé 30 000 euros (soit 200 000 de nos anciens francs) en ventes publiques, ce qui représente un chiffre d'affaires confortable. Le tout récent casse chez l'épouse de Maurice Garnier montre que les malfaiteurs sont prêts à prendre des risques pour s'emparer de sa production. Enfin, Bernard Buffet deviendrait-il une icône hip hop ? L'équipementier Nike a récemment sorti des chaussures en série limitée décorées de ses clowns. Elles se négocieraient déjà à plus de 1000 dollars au marché noir. Pourtant, Bernard Buffet vit un long purgatoire en France. Après avoir été élu en 1957 meilleur peintre de l'après-guerre pour son réalisme misérabiliste, notamment avec ses Pietà, il a, dans les quatre décennies suivantes, véhiculé l'image d'un peintre commercial, répétant sans cesse les mêmes recettes et abusant de cette «touche» à grands traits noirs décharnés pour ses clowns, ses vues de Venise ou ses bouquets de fleurs. Son succès phénoménal au Japon, où un musée lui est consacré depuis 1973, n'a fait que renforcer la suspicion des critiques.

Malraux et Bergé font barrage
«Bernard Buffet est interdit de séjour dans les collections publiques en France depuis 1958, déclare sans demi-mesure Maurice Garnier. Cet ostracisme se lèvera avec le temps. Et puis le dicton dit bien que nul n'est prophète en son pays. A l'étranger, où les gens n'ont pas les préjugés, Buffet est très apprécié.» Qui sont les responsables de cet ostracisme ? «André Malraux. Et Pierre Bergé. La rupture entre Buffet et Bergé a été à l'initiative de ce dernier, au moment de rejoindre Yves Saint Laurent. Mais il en a néanmoins conservé pour toujours une aigreur, une amertume.» Si Buffet est persona non grata, Maurice Garnier ne perd pas espoir de voir naître son espace à Paris. «Nous n'aurons pas de mal à trouver un mécène pour payer les frais d'installation de la collection, affirme-t-il. La difficulté, c'est qu'une collectivité accepte de prendre en charge sa gestion à perpétuité. Seules cinq sont susceptibles de le faire : l'Etat, la région, la ville, l'Institut de France ou la Chambre de commerce.» Les démarches n'ont pas encore abouti. En attendant, pour voir un Buffet dans une collection publique, il faudra se rendre dans un musée qui a déjà accueilli une exposition consacrée au peintre. Maurice Garnier a en effet pris l'habitude d'offrir à cette occasion un tableau. Cela a été le cas au Musée Courbet d'Ornans ou à… l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, où Buffet fait partie des très rares peintres ayant bénéficié d'une rétrospective de leur vivant.


 Rafael Pic
10.02.2004