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Patrimoine

Les Anglais tiennent à leur Maître de Moulins

Le ministre des Arts, Estelle Morris, a placé une interdiction d'exportation sur une Vierge de Pitié, un tableau du Maître de Moulins.


Maître de Moulins, Vierge de
Pitié
, vers 1480-1500.
LONDRES. Depuis le spectaculaire sauvetage de la Vierge aux œillets de Raphaël, arrachée in extremis au Getty Museum, les interdictions d'exportation décrétées par le ministre de la Culture britannique bénéficient d'un écho médiatique inattendu. C'est le cas avec la dernière en date, qui concerne un tableau du Maître de Moulins dont les contemporains bénéficient actuellement d'une rétrospective au Louvre (lire notre critique du 27 février). L'œuvre en question est une petite peinture de 27 cm sur 18,5, en bon état selon les experts consultés par le ministère, qui représente le deuil de la Vierge. Réalisée entre 1480 et 1500, elle est interdite de sortie du territoire jusqu'au 17 avril 2004. Une prorogation de trois mois pourra être envisagée si des acheteurs sérieux se sont manifestés avant l'expiration du premier délai. La somme que ceux-ci devront réunir est de 600 000 £ (894 000 euros). Soit nettement moins que les 22 millions £ requis pour le Raphaël précité…

Un comité ad hoc
Pourquoi bloquer aux frontières ce petit tableau qui n'est pas un chef-d'œuvre célèbre et qui n'est pas, non plus, une œuvre «nationale» ? Les refus temporaires d'exportation sont proposés en Grande-Bretagne par un comité (Reviewing Committee of the Export of Works of Art), qui se fie aux trois critères Waverley, baptisés d'après le nom d'un de ses présidents dans les années 1950. L'œuvre est-elle étroitement liée à l'histoire nationale ? Est-elle d'une valeur esthétique indiscutable ? Est-elle essentielle pour faire avancer la recherche dans un champ particulier des beaux-arts ? Les experts ont donc répondu par l'affirmative à ces questions. C'est l'une des trois seules œuvres de l'artiste en Grande-Bretagne, les deux autres étant la Rencontre d'Anne et Joachim à la Porte Dorée (National Gallery, Londres) et Saint Maurice avec un donateur (Musée de Glasgow). Cette scène de souffrance est par ailleurs inhabituelle chez cet artiste très «rare» (quelques dizaines d'œuvres lui sont attribuées dont le célèbre triptyque de la Vierge dans la cathédrale de Moulins).

Merci à la loterie
Sur les quelque 10 000 demandes d'exportation de biens artistiques déposées chaque année en Grande-Bretagne, moins d'une cinquantaine font l'objet d'une étude par le comité. Les refus temporaires d'exportation sont évidemment encore moins nombreux : 13 en 1999-2000, 34 en 2000-2001, 31 en 2001-2002, 23 en 2002-2003. Les statistiques montrent en revanche une efficacité croissante des mesures de protection dans les dernières années. Alors que la moitié des objets bloqués finissaient par s'envoler à l'étranger entre 1992 et 1999, cette proportion s'est réduite de façon drastique depuis 2000 : une pièce sur quatre seulement réussit à échapper aux mailles du ministère. Ce succès doit évidemment beaucoup à l'institution d'une loterie du patrimoine, qui fournit une partie des fonds nécessaires. En France, les nouvelles dispositions sur le mécénat d'août 2003, qui octroient de très généreuses déductions fiscales (jusqu'à 90% du montant de l'achat), devraient jouer le même rôle. Elle ont commencé à être appliquées mais n'ont pas encore porté sur une œuvre emblématique du patrimoine national. On attend avec impatience ce baptême du feu.


 Charles Flours
26.02.2004