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Premier de Cordier

Une rétrospective au Musée d'Orsay donne enfin l'occasion de publier le catalogue raisonné de Charles Cordier, sculpteur méconnu des «types humains».

De lui, on connaît le Nègre du Soudan, que l'on a déjà croisé au Musée d'Orsay et que l'on retrouve en affiche dans les couloirs du métro. Guère plus. L'exposition qui est consacrée à Charles Cordier est donc une grande première et ne doit pas être manquée tant sa scénographie est séduisante. Après une première salle où semblent s'accumuler toutes les races de la planète, un cabinet sombre accueille d'étonnants bustes polychromes, placés sous un violent jet de lumière. Forcément séduit par ce pur produit du XIXe siècle, on cherchera les informations complémentaires dans ce catalogue très illustré.

Hommes et femmes du monde
On est ici en plein positivisme, en pleine manie classificatoire. Charles Cordier, qui n'est pas du tout issu d'une famille cosmopolite - il est le quatrième enfant d'un pharmacien de Cambrai, fait sienne cette démarche qui sera à l'origine de l'ethnographie moderne. Il voyage beaucoup, animé d'une grande ambition : sculpter la galerie de l'humanité. Il a certainement lu les neuf volumes du grand ouvrage de Lavater sur la physiognomonie, qui datent de 1820. Et la phrénologie, l'étude du caractère à partir de la forme du crâne, est à la mode. Même Bouvard et Pécuchet s'y mettent, dans l'arrière-boutique d'un coiffeur normand ! Les 617 notices du catalogue raisonné, qui occupent les cent dernières pages de l'ouvrage, sont un véritable concentré d'exotisme. Voici un Arabe d'El Aghouat, une Négresse des colonies, un Epoux chinois, une Danseuse juive, une Femme hydriote (de l'île d'Hydra, près d'Athènes), une Fileuse de l'archipel ou une belle Romaine du Transtévère, au décolleté engageant. Esseulés dans ce caravansérail, on trouve un autoportrait ou monseigneur Dusserre, archevêque d'Alger à la longue barbe… La marque de fabrique, de Cordier, c'est la polychromie, une extraordinaire polychromie qui allie de savantes oxydations du bronze et les coloris naturels du marbre-onyx d'Algérie. Les carrières de Constantine, utilisées dans l'Antiquité, furent redécouvertes en 1843. Cordier, grand utilisateur du matériau, les visita avec émotion en 1856. Rouges, verts et bleus profonds, or et argent et, évidemment, noir de jais et blanc d'albâtre. Benetton n'a rien inventé : les deux poupins, l'un noir, l'autre blanc, qui s'embrassent avec effusion sous le titre Aimez-vous les uns les autres (1867) valent toutes les photographies d'Oliviero Toscani. L'image de la page 65 est malheureusement assortie d'une légende désolante : «localisation actuelle inconnue»…


 Pierre de Sélène
20.02.2004