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Expositions

La Renaissance par le crayon

La Bibliothèque nationale montre quelques-unes de ses plus belles feuilles de la Renaissance, dues à Dürer, Clouet ou Salviati.


Albrecht Dürer,Tête de cerf percée
d'une flèche
, vers1495 © BNF,
département des estampes et de
la photographie
PARIS. «On ne peut pas rester insensible devant cette tête de cerf. Si humaine. Et ce regard, avec cet œil lointain, déjà vitreux…» La commissaire de l'exposition, Gisèle Lambert, s'enthousiasme devant un dessin en couleur d'Albrecht Dürer, le grand maître allemand. C'est lui qui ouvre l'exposition des quelque 115 trésors exceptionnellement sortis du Cabinet des estampes, dont la moitié n'ont jamais été montrés au public. Organisée à la demande de la fondation La Caixa, cette sélection a été montrée à Barcelone, où elle a attiré près de cent mille personnes. Elle revient à Paris, à temps pour la Semaine du dessin et pour le Salon du dessin, qui se tient cette année à la Bourse, c'est-à-dire à deux pas de la Bibliothèque nationale.


Francesco Salviati, Jeune homme
nu assis
, vers 1553 © BNF,
département des Estampes et de
la photographie
Vert Dürer
Pourquoi Dürer en premier ? Parce que la Bibliothèque nationale possède un bel ensemble de ses œuvres, entré dans les collections lors de l'achat par Colbert des 120 000 dessins du fonds Marolles. Mais aussi parce qu'il a été un dessinateur prolifique (entre mille et deux mille feuilles lui sont attribuées) et un défricheur en de nombreux domaines. «Il est le créateur du paysage moderne, poursuit Gisèle Lambert. Avant lui, le paysage n'apparaissait que dans les manuscrits enluminés, étagé, sans perspective. Il lui donne une perspective, des effets d'atmosphère, des reflets dans l'eau. Et ce vert !» En effet, le ramage des arbres, dans cette vue de moulins fluviaux, a quelque chose d'indécent, tant il est profond, vibrant. On le croirait posé d'hier, avec les meilleurs pigments du marché.


François Clouet, Portrait de
Marguerite de Valois
, vers
1572 © BNF, département des
Estampes et de la photographie
Le retour du mascaron
La Renaissance est une époque bénie pour le dessin. On expérimente de nouvelles techniques, la grisaille et le lavis, on s'intéresse à une large panoplie de sujets. Et l'on produit beaucoup : les commanditaires, lorsqu'ils veulent un vitrail, une tapisserie ou une fresque, demandent à juger sur pièces… Le dessin est aussi, évidemment, un des premiers vecteurs de redécouverte de l'Antiquité. Les monuments de Rome, les chefs-d'œuvre récemment exhumés comme le Laocoon, les nus héroïques sont sans cesse remis sur le métier par une armée d'artistes venus de toute l'Europe. On en voit quelques beaux exemples, dont ces vues du Colisée et du Forum par van Cleve ou ces reproductions de coupes commandées par l'érudit aixois Peiresc. Ils fourmillent de rinceaux, de sirènes, de satyres, de guirlandes, de mascarons, autant de motifs qui font un retour triomphal dans le répertoire occidental.

Clouet sans concessions
Quant à l'école française de Clouet, elle s'exprime à merveille dans les portraits dits «aux trois crayons» (pierre noire, craie blanche pour les rehauts, et sanguine). «Catherine de Médicis en possédait cinq cents, précise le commissaire-associé, Jocelyn Bouquillard. Lorsqu'elle partait en voyage, elle demandait qu'on lui envoie régulièrement des portraits de ses enfants, pour pouvoir s'assurer qu'ils étaient en bonne santé.» On va plus vite aujourd'hui, avec le téléphone portable, pour transmettre une image du dernier-né enrhumé. Mais le résultat est-il à la hauteur ? Les portraits de Clouet, étonnamment fins, clairs comme des photographies surexposées, ont une véritable profondeur psychologique : lèvres pincées, regards fixes, postures rigides révèlent le dedans de l'âme, que le masque du sourire cache aujourd'hui systématiquement. On aurait aimé finir le parcours sur ces visages essentiels, butés ou méfiants, pour s'en graver quelques-uns en mémoire. Après eux, les allégories compliquées et les pédantes parades de l'Ecole de Fontainebleau paraissent bien insipides…


 Rafael Pic
24.02.2004