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Expositions

Miró, la décennie prodigieuse

Le Centre Pompidou se consacre aux riches années 1920 du peintre catalan, qui explore la couleur, la figure humaine, l'abstraction, le collage.


Siurana, le sentier, 1917, huile sur toile,
60 x 73 cm. Musée Reina Sofia, Madrid.
© Succession Miró / Adagp, Paris 2004
PARIS. 1917-1934 : aux non-initiés, les dates ne diront probablement rien. 1917, c'est la première exposition personnelle de Joan Miró, dans une galerie de Barcelone. 1934, c'est le «retour à l'ordre» après une période de quelques années où le peintre a voulu «assassiner la peinture». Entre les deux, il n'y a que dix-sept années mais une production foisonnante : on a l'impression que Miró a voulu tout essayer avant son quarantième anniversaire (il est né en 1893). Comment présenter plus de deux cents œuvres ? De la façon la plus simple possible, ont dû se dire les organisateurs. C'est-à-dire en suivant la chronologie. La scénographie a priviliégié des cimaises courbes, comme pour symboliser les allées et venues du peintre des explosions de couleur aux monochromes, des formes rondes aux simples zébrures. Des «trottoirs» - un terme peu approprié puisqu'on n'a pas le droit d'y poser le pied - servent à tenir le visiteur à distance des toiles. On peut douter de la nécessité de ce recul : Miró peut aussi se savourer de très près.


Tête, 1930, huile sur toile,
230 x 165 cm, Musée de Grenoble,
don de la galerie Pierre Loeb en
1934.
© Successio Miró / Adagp,
Paris 2004
Pointes de flèches et bouts de seins
Après une antichambre où des gigantographies montrent la campagne catalane de Montroig et Paris - les deux pôles de sa vie dans la période étudiée -, on découvre le tout jeune peintre de 1917, imbibé des avant-gardes catalane et française. Ce sont là des toile figuratives, des paysages avec des lignes de sillon de toutes les couleurs, des personnages habillés de rayures et autres motifs que n'auraient pas reniés Vallotton ou Vuillard. Puis les profils se réduisent à l'os, les lignes deviennent cassantes. Une étape naïve et voici Miró dans une sorte d'abstraction, où ne se décèlent que quelques archétypes, fragments de branchages, figures géométriques, pointes de flèche ou un bout de sein. Pour Breton, la messe est dite : Miró joue à l'innocent, à l'enfant. Cette affirmation peut être discutée - elle a été très contestée - mais une chose est sûre : comme les enfants qui apprennent à tenir un crayon ou un pinceau, Miró veut tout essayer.

L'esprit d'une danseuse
Le Miró aux couleurs pleines est toujours là, par exemple dans les années 1925. Son amour pour le bleu du ciel donne naissance à de belles Peintures. Elles sont originalement mises en scène avec, pour toile de fond, le ciel de Paris qui, lors de notre visite, il faut le dire - effet des verres teintés ? - avait du mal à soutenir la comparaison. Cette joie de la couleur, qui éclate encore plus dans les Intérieurs hollandais de 1927-28, on a l'impression que Miró a chroniquement envie de l'exorciser. Le voilà qui se met donc au travail sur des toiles recouvertes d'une simple huile brune qui les ferait passer pour du jute ou du papier kraft. Le voilà qui colle abondamment, avec des matériaux pauvres comme le goudron. Le voilà qui réduit une danseuse à une sèche allégorie - tellement surréaliste que Breton la conserva jusqu'à sa mort - une plume et un bouchon transpercé d'une épingle à chapeau. Mais la couleur revient encore et toujours, impérieuse, au point que les commissaires ont senti le besoin de conclure sur les immenses toiles bleues de la collection du Centre Pompidou, datées de 1961, sortant ainsi de l'espace-temps qu'ils s'étaient imposés. «Miró, ça va redonner le moral à tout le monde». La remarque échappée à un visiteur aurait tant plu au peintre…


 Rafael Pic
03.03.2004