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Embarquement immédiat pour Cythère

Watteau, le peintre des fêtes galantes, est honoré chez lui, à Valenciennes.


Les Deux Cousines, Musée du Louvre
VALENCIENNES. C’est en s’appuyant sur une tradition picturale bien ancrée (mais peu considérée dans la hiérarchie des genres), issue du Moyen Age, celle de la représentation de scènes de fêtes campagnardes, de noces villageoises et allégories de liesse populaire, que Jean-Antoine Watteau (1684-1721) créa le thème des «Fêtes galantes», appellation devenue indissociable de son nom. «Watteau invente un genre, la fête galante. Il est en quelque sorte révolutionnaire. Il y a finalement assez peu de peintres qui créent un thème», déclare Patrick Ramade, conservateur du musée des Beaux-arts de Valenciennes et commissaire de l’exposition avec Martin Eidelberg, historien de l’art et professeur à l’université Rutgers dans le New Jersey.

Influences flamandes
Le Pèlerinage à l’île de Cythère, du Louvre, fut la première œuvre à figurer au catalogue de l'Académie royale de peinture et de sculpture sous la dénomination d'une «feste galante», un terme jusqu’alors exclusivement associé aux libertines parties de campagnes des aristocrates fortunés de l’époque. Mais jamais Watteau ne fut, selon Eidelberg, reçu à l’Académie en tant que «peintre de fêtes galantes» : il s’agirait en fait d’une des nombreuses légendes qui entourent le nom du peintre, et que sa popularité grandissante au fil des siècles ne fit qu’entériner comme vérité historique. A Valenciennes, ville natale du peintre, on se penche en particulier sur les artistes qui ont influencé son œuvre, autant que sur ses suiveurs : 85 toiles, dessins, aquarelles ou gravures ,dont une vingtaine de Watteau, participent à brosser ce panorama. Peter Paul Rubens, Bruegel le Jeune, Frans Wouters, Hieronymus Janssens sont notamment présents pour mettre en évidence l'influence de la peinture flamande sur Watteau. Une influence peut-être plus «consciente» est celle des maîtres vénitiens, une fascination que Watteau partageait avec le collectionneur Crozat, dont il eut de nombreuses occasions d’admirer les trésors. Parallèlement, ami de Charles de la Fosse, le directeur de l’Académie, lui-même fervent défenseur des coloristes dans la bataille de rubénistes contre les poussinistes, Watteau fréquentait les artistes vénitiens de passage à Paris, dont Rosalba Carriera, elle-même très liée à Pierre Crozat.


L’île enchantée, collection privée
Suisse © Droits réservés
Watteau, le Vénitien français
Le parti pris scénographique est ici thématique et sans surprise («La fête galante selon Watteau» ; «Foires et villages» ; «Promenades» ou encore «Jeux»). On regrettera que ce choix entraîne parfois la division de certains pendants ou petites séries. Au milieu des œuvres exposées, les études aux trois crayons ou à la sanguine (qu’il affectionne car elle lui permet de réaliser aisément des contre-épreuves) sont des témoignages rares et particuliers d’instants fugitifs, des croquis rapidement exécutés en quelques lignes essentielles qui donnent vie et chair aux personnages représentés. C'est le cas pour ces trois études d’homme avec cape (vers 1715, Louvre), deux études de femme assise (vers 1717, British Museum) ou encore la foisonnante feuille d’études avec un homme assis, un homme allongé, des branches de vigne et une main tenant une draperie (vers 1716i, Petit-Palais). En les voyant, on comprend l’engouement d’Edmond de Goncourt pour le travail à la sanguine de Watteau, «[…] le Vénitien français, pour sa tonalité, pour sa chaleur : il a même une sanguine qui semble lui appartenir en propre, une sanguine d'un ton de pourpre, qui se distingue de la sanguine brunâtre de tous, et qui prend sa couleur charmante et son incarnat de vie de l'habileté des oppositions du gris et du noir». Enfin, la feuille d’étude avec une femme assise, feux femmes debout et une main (vers 1716, Nationalmuseum de Stockholm) constitue un rare exemple de travail préparatoire - pour les Deux cousines (1717-1718), la petite huile sur toile conservée au Louvre, également présente. En effet, Watteau avait la réputation de ne pas préparer ses compositions, de s’attaquer à sa toile directement. Le comte de Caylus, son contemporain (graveur et fameux auteur du monumental Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises), affirmera que Watteau «n'a jamais fait ni esquisse ni pensée pour aucun de ses tableaux». La comparaison de cette feuille et de la petite toile ne laisse pourtant aucune place au doute.


 Elodie Palasse
20.03.2004