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Au nom de l'ogive

Alain Erlande-Brandenburg a entièrement refondu son ouvrage classique sur l'art gothique.

Le volumineux ouvrage publié chez Citadelles & Mazenod a récemment fêté son vingtième anniversaire. Lorsqu'il a été décidé de le republier à l'occasion de la grande exposition «Paris 1400» au Louvre, l'auteur, qui aurait pu se contenter d'un dépoussiérage, a préféré retravailler en grande partie son texte. C'est qu'en deux décennies, les campagnes de restauration ont fourni une grande quantité de données nouvelles, notamment sur la polychromie des statues. Les divisions confortables entre roman, gothique et Renaissance ont par ailleurs tendance à s'estomper. Le cliché si commode qui permettait de raccrocher l'art gothique - un art de besogneux, de manuels selon les artistes de la Renaissance - à la voûte d'ogives ne tient même plus… quoi qu'en dise le titre de cet article. La tâche de l'auteur est donc rude puisqu'après avoir lui-même sapé ces repères traditionnels, il lui revient de définir un espace devenu mouvant. Mais il a les compétences pour le faire : hier directeur du Musée national du Moyen Age, Alain Erlande-Brandenburg officie aujourd'hui au Musée national de la Renaissance à Ecouen. Il maîtrise ainsi les deux «plaques tectoniques» que l'on a trop voulu opposer frontalement.

Puissance de l'image
L'art gothique, que l'on croit hiératique, figé, sec dément fréquemment ces jugements. Il y a bien sûr le sourire de l'ange de Reims mais on peut aussi fondre devant cette Sainte Madeleine de l'église d'Ecouis, au plissé impeccable, ou devant cette extraordinaire sculpture de la synagogue de Bamberg, proprement peccamineuse : la fine tunique plaquée ne sert qu'à rehausser les beautés d'un corps féminin. La photographie, dont le parti pris, pour la sculpture, est celui de contrastes violents pour souligner l'effet de volume, contribue à faire naître ces émotions. Plus loin, les gros plans sur des portraits peints par Rogier van der Weyden ou Petrus Christus sont émouvants d'une autre façon : on a l'impression de toucher du doigt les craquelures du bois, qui dessinent comme un fond de lac asséché. Cette abondante iconographie a été en grande partie renouvelée sauf pour le savant appendice documentaire qui réunit plus de 450 images, rigoureusement en noir et blanc : tympans, statues-colonnes, pietà en bois, fresques italiennes, retables flamands ou avignonais, enluminures, vitraux, estampes, reliquaires et ivoires. Après avoir goûté ces images, il ne reste plus qu'à se plonger dans le livre plutôt que de le condamner au rôle de «coffee table book»…


 Rafael Pic
27.03.2003