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Expositions

Paysage à la russe

Une rétrospective à la National Gallery fait découvrir Chichkine, Kouindji ou Lévitan, homologues mal connus de l'école occidentale de plein air.


Grigori Vassilievitch Soroka,
Pêcheurs, vers 1840,
huile sur toile, Musée russe,
Saint-Pétersbourg.
LONDRES. «Nous n'avons pas un seul tableau russe, explique Chris Riopelle, l'un des conservateurs de la National Gallery. Si, un seul, un Répine, prêté par la Tate Gallery» Accueillir une exposition sur les paysagistes russes du XIXe siècle était donc un choix particulièrement original pour le musée anglais, qui s'est adossé pour l'occasion aux Néerlandais du Groninger Museum. Plutôt que de vouloir trop montrer, les commissaires ont décidé d'effectuer une sélection serrée : ils ne présentent que quinze peintres, dont les tableaux proviennent pour l'essentiel de la galerie Trétiakov à Moscou, du Musée russe de Saint-Pétersbourg et de quelques musées de province comme celui de Nijni-Novgorod. Trois artistes ont été mis en avant, avec une salle chacun : Chichkine, Kouindji et Levitan.


Mikhail Vasilievich Nesterov, Le petit
renard
,1914, Galerie Tretiakov ,
Moscou.
Levitan, le préféré des Russes
Ce choix peut être motivé même si on peut le contester : Chichkine (1832-1898), formé en Allemagne, est l'un des premiers à faire du paysage un genre autonome. Ses immenses toiles, souvent vides de personnages, montrent des sous-bois, des panoramas démesurés sous un ciel floconneux. Chichkine au dessin précis, le «comptable des feuilles» comme on le dénommait, symbolise aussi le lien avec la peinture occidentale, avec Corot ou les nazaréens, qui faisaient immanquablement un pélerinage en Italie pour dépeindre la campagne romaine. Kouindji (1842-1910) est le plus inattendu, un caravagesque du golfe de Finlande, qui aime les contrastes forts, l'ombre cernée par un rai de lumière, les clairs de lune exagérés. Quant à Isaak Lévitan (1860-1900), c'est la véritable star des Russes, un mélange très original de Monet (un rapprochement est assez frappant lorsque l'on voit ses Meules), de Boudin, de Constable. Mais l'on aurait aimé que davantage de poids soit donné à ces interprètes si touchants de l'âme russe : Venetsianov (1780-1847) ou Soroka (1823-1864), le serf qui se pendra une fois libéré, qui peint ces moments interminables de la vie dans la campagne la plus profonde - des pêcheurs patientant sur un lac, un paysan qui somnole contre un mur en rondins. Ou encore Nesterov, qui place sur des arrière-plans infinis de bouleaux des allégories de la religiosité russe. Mais l'on serait mal venu de se plaindre : cela fait près de trente ans (Glasgow, 1975) que l'on n'avait pas vu de rétrospective sur le sujet et encore n'était-elle pas limitée aux peintres russes…




 Rafael Pic
02.07.2004