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Expositions

Je suis la vague

Fixer le mouvement perpétuel de la vague ? Le Musée Malraux du Havre montre comment le défi est relevé par les artistes contemporains.


Andreas Gursky, Niagara Falls,
1989, Paris Fonds National d’Art
Contemporain, © Adagp
LE HAVRE. «Vague 2» est une exposition dense qui présente les œuvres de près de 70 artistes du XXe siècle et de notre époque comme Roni Horn, Nan Goldin ou Jean-Marc Bustamante. Dans un parcours fluide, certaines pièces sont mêlées aux collections permanentes et répondent aux bords de mer peints par Monet, Sisley… L’exposition s’organise autour d’une double acquisition : La Vague, l’un des « paysages de mer » peint par Courbet en 1869 à Etretat, achetée par le Musée Malraux du Havre en 2003, et qui a déjà fait l’objet de l’exposition «Vague 1». Ce premier volet historique présentait des œuvres de la deuxième moitié du XIXe siècle, soulignant l’influence du photographe Gustave Le Gray sur Gourbet. Le deuxième volet de l’exposition présente l’acquisition par le FRAC Haute-Normandie d’une photo de vague prise par l’artiste suisse Balthasar Burkhard, en 1995, reprenant un point de vue de Courbet, à l’aide de moyens archaïques :une lourde chambre sur trépied. Ce travail photographique est la conclusion d’échanges d’influence entre peinture et photographie depuis l’époque de Courbet jusqu’à nos jours. Les organisateurs, Annette Haudiquet, Conservateur en chef du musée Malraux, et Marc Donnadieu, directeur du FRAC Haute-Normandie soulignent, à cette occasion, leur volonté de rendre visible la photo, part dominante de l’exposition, et la vidéo contemporaine en accordant une grande place aux créateurs de la région comme M.Gipoloux ou J.Bélégou.

Paysages de mer
L’exposition s’ouvre sur la double acquisition à laquelle répond aujourd’hui le photographe allemand Elger Hesser en présentant des «paysages de mer» selon un point de vue pictural et théâtralisé. Puis un cabinet nous introduit aux nouvelles recherches photographiques sur le sujet, au début du XXe siècle. Des appareils plus performants, capables de décomposer le mouvement, incitent les artistes à ne plus s’intéresser à la vague comme motif mais comme matériau. Dans les années trente, l’un des précurseurs, Moholy-Nagy, travaille la surface de la vague rendue lumineuse. A la même époque, des photos de Kertész, Cartier-Bresson, Pierre Boucher (inventeur d’un des premiers appareils sous-marins) montrent que «le corps se déploie et se dénude en plus grande liberté» selon Marc Donnadieu. Celui du visiteur est également sollicité dans l’exposition où Marcel Dinahet a installé au sous-sol un caisson équipé d’une vidéo permettant à une ou plusieurs personnes de s’isoler « sous l’eau ».


José Maria Sert, Les aventures
de Simbad le marin
, 1923 Paris
Galerie Michèle Chomette.
Tristes bords du Rhin
Hommages et digressions se confondent dans l’exposition, et dans les œuvres à différents degrés, rendant ce choix intéressant. Certaines pièces font allusion aux utopies du XIXe siècle et témoignent de changements sociaux actuels. Les bords du Rhin photographiés par l’allemand Andreas Gursky, issu de l’ «école du Düsseldorf», font à la fois référence aux visions romantiques du Rhin et s’en éloignent, dans une vision désenchantée de ces rives mal entretenues et menacées par la présence de touristes. Une vidéo de l’artiste britannique Tacita Dean glorifie le phare traditionnel, en plaçant une caméra à la place de l’ampoule de celui-ci. Les images, d’une grande beauté, jouant sur l’aveuglement de la lumière, suivent un mouvement circulaire et hypnotisant. Des photos saisissantes des chutes du Niagara, prises de tous les points de vue, par Andreas Gursky, Zoé Leonard ou Sonja Braas, élargissent le thème de l’exposition. D’autres digressions apparaissent avec Jean Le Gac ou Jochen Gerz qui introduisent du texte à leurs images et construisent une narration. Les photomontages de Marc Le Mené reconstituent une mer «fragile» en plastique et en papier. Ce décalage humoristique se retrouve dans les photos burlesques des années quatre-vingt de Louis Jammes, issu de la Figuration Libre, ou du néo-zélandais Boyd Webb, qui parodient la peinture de genre en faisant évoluer leurs personnages dans un décor balnéaire ouvertement kitsch et factice.

Arrêter la vague
Ce deuxième volet marque également l’arrivée du son avec la vidéo et l’objet scientifique qu’est le Canal à houle, réalisé par un laboratoire de l’Université du Havre. Les organisateurs de l’exposition tenaient à souligner les rapports entre recherche scientifique et artistique. L’installation transparente montre la création physique d’une vague : onde continue s’échouant sur une grève artificielle. Objet à la fois scientifique et poétique, il a donné lieu à une commande passée par le FRAC Haute-Normandie à l’artiste rouennaise Kasha Legrand qui a répondu à l’invitation par une vidéo, tant le Canal à houle était proche d’un objet d’art. La vidéo présente le canal décontextualisé à l’aide d’images numériques, et transformé en un ruban ondulant sur un ciel obscur puis dans une forêt, plongé dans une atmosphère féerique amplifiée par de la musique électronique. Les progrès de la photographie et de la vidéo permettent d’apprivoiser ces «paysages de mer». Cette faculté est poussée à l’extrême dans la vidéo Waves de Kuntzel installée au sous-sol. Le spectateur, en s’approchant de l’écran, a le pouvoir d’arrêter une vague présentée grandeur nature. Le ralenti précédant l’arrêt définitif du déferlement, permet de décrypter en détail les mouvements de la vague. L’exposition souligne cette nouvelle approche où, comme l’explique M.Donnadieu, où «l’appareil photographique devient le prolongement du bras du photographe. Ils partent ensemble à la conquête de l’air, de l’eau et des montagnes pour mieux partager les rêves et les gloires d’un monde en pleine mutation.»




 Yseult Chehata
09.07.2004