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Expositions

Rubens en voyage, de Vienne à Bruxelles

Le temps d'une exposition, les chefs-d'œuvre de l'Académie des beaux-arts autrichienne s'invitent à l'hôtel de ville de Bruxelles.


Peter Paul Rubens, Boréas
enlève Orithyia
, 1615
© Gemäldegalerie, Akademie
der bildenden Künste Wien
Ceux dont les désirs sont grands de jouir enfin, chez Rubens, d‘autres formes que celles très arrondies de ses centaines de femmes baroques et grassouillettes vont être comblés. L‘exposition de l‘Hôtel de ville de Bruxelles présente une série modeste mais extrêmement raffinée d‘oeuvres du grand maître flamand peintes dans un style moins tonitruant et plus ciselé que celui dont nos sens sont largement abreuvés. «Toutes ces oeuvres, comme la plupart de celles de notre musée, proviennent de la collection du Comte Lamberg , léguée à sa mort en 1822 à l‘Académie», précise Claudia Koch, historienne de l‘art de la galerie de peintures de l‘Académie des beaux-arts de Vienne, un musée aux dimensions légères, peu connu des touristes, et recelant pourtant quelques trésors inestimables. «Or, contrairement à l‘empereur dont les goûts se portaient exclusivement sur les oeuvres grandioses, et dont la collection se trouve aujourd‘hui au Kunsthistorisches Museum, le comte s‘intéressa toujours aux petits formats, aux études effectuées de la main des maîtres, et non aux grands tableaux souvent réalisés par les salariés de leur atelier».

Dans l‘envoi de ses Rubens vers Bruxelles, afin de fêter dignement le 425ème anniversaire de la mort du génie baroque, Vienne s‘est montrée généreuse : les 18 tableaux exposés sont les plus beaux de la galerie de peintures. Parmi eux, la pièce la plus intéressante est assurément la Bacchanale : Silène rêvant. Peint aux environs de 1610, juste après le retour d‘Italie du jeune Peter, le tableau frappe par une composition très inhabituelle chez Rubens. La partie gauche est dédiée aux corps humains (celui de Silène, divinité des bois, coiffé de deux satyres) et très nettement séparée d‘une partie droite, nature morte aux diverses coupes à vin et fruits. La toile elle-même, coupée en deux, est cousue à l‘arrière pour en faire un tableau de deux mètres sur un mètre cinquante. La séparation est telle que l‘oeuvre fut très longtemps considérée comme une juxtaposition artificielle de deux toiles sans aucun lien l‘une avec l‘autre. Dépourvue de signature, son attribution était demeurée incertaine, et la toile gisait depuis des décennies dans les caves de l‘Académie des beaux-arts. Très récemment, à l‘occasion d‘une exposition à Tokyo, en 2000, on entreprit un premier dépoussiérage du tableau. Sous le vernis jauni de la toile, le restaurateur découvrit que le pied gauche de Silène s‘avançait loin vers les coupes renversées, franchissant allègrement la couture médiane. Considérée dès lors comme une oeuvre entière, la toile révèle des inégalités dansle traitement. Renate Trnek, directrice de la Gemälde Galerie, écrit dans le catalogue que les raisins et la panthère ne seraient pas de l'artiste flamand. Selon Pascale Salesse, commissaire de l'exposition à Bruxelles, que nous avons interrogé, le bras droit du Silène présente également une facture différente. Dans les deux cas, le nom de Snyders est évoqué. Par contre, la nature morte de vaisselle serait l'un des très rares exemples de natures mortes de Rubens. A la plus grande joie du musée viennois. L‘oeuvre est aujourd‘hui tellement demandée qu‘elle ne restera pas toute la durée de l‘exposition à Bruxelles. Le 22 avril, elle sera déjà de retour à Vienne, pour figurer en belle place dans la nouvelle exposition du Kunsthistorisches Museum, «La Nature morte dans l‘art flamand». Elle sera remplacée alors par les Trois Grâces (vers 1620), dans le style «jeunes femmes rondouillettes» cher à au peintre anversois.


 Pierre Daum
12.04.2002