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Expositions

Arnold Böcklin
L'Ile des morts 1880
Huile sur bois 1,11 x 1, 55 m.
Bâle, Kunstmuseum
©dr-Bâle, Kunstmuseum


Böcklin, l’iconoclaste

Après plusieurs reports, le musée d’Orsay ouvre enfin au public l’exposition Böcklin, première rétrospective française consacrée au peintre allemand.

Quelque 70 peintures ont en charge de nous faire découvrir l’œuvre de ce peintre atypique, son originalité et l’instant décisif qu’elle constitue pour l’histoire de l’art moderne. Böcklin, s’il a joui d’une renommée considérable en Allemagne, a été longtemps méconnu en France. L’aspect «germanique» de son art, son ancrage très fort dans les traditions littéraires et artistiques de l’Allemagne ont pu contribuer à cette impression d’herméticité. Un autre facteur joua en sa défaveur : la possession par Hitler d’un certain nombre de ses œuvres.
Deux qualificatifs s’imposent à la vue des peintures présentées ici, iconoclastes et protéiformes. L’exposition commence par le premier voyage en Italie du peintre, pays qui demeurera tout au long de sa vie, une destination de prédilection. Les réalisations picturales de ces années dépeignent des scènes myhtologiques, prenant place dans le cadre de la campagne romaine. Elles témoignent de l’affranchissement rapide de Böcklin vis-à-vis de la tradition picturale allemande et plus particulièrement du romantisme. Possédant une certaine culture artistique, le peintre s’inspire des grands maîtres des 16e et 17e siècles, tant Carrache que Poussin, tout en se démarquant des conventions de représentation comme en témoigne Pan effrayant un berger, (1859).

En 1863, le peintre découvre l’art des fresques de Pompéi et réalise un portrait-hommage, à sa femme, italienne et à l’art de ce pays, réunissant au sein de ce même tableau, le cadrage à mi-corps à la manière du Titien et le fonds décoratif de l’art pompéien. Ces années sont aussi celles des versions successives de Villa en bord de mer dont quatre sont ici exposées. Débarrassée de son contenu narratif initial, l’œuvre se concentre autour de l’opposition nature/culture.
Viennent ensuite les années de maturité (1866-1874), durant lesquelles Böcklin séjourne à Bâle puis s’installe à Munich. Les autoportraits voisinent avec les scènes mythologiques, religieuses et les adaptations de textes littéraires dont L’Orlando furioso (deux épisodes sont présentés ici) qui se démarquent par leur facture enlevée, traduction plastique du souffle épique qui traverse le poème de l’Arioste.
Le peintre invente un nouveau bestiaire, les scènes mythologiques se peuplent de bêtes fantastiques. Böcklin mélange les genres et le centaure investit l’échoppe du forgeron de la campagne munichoise.
La facture peut se faire, à l’occasion, lisse, évoquant Puvis de Chavannes, Hödler ou encore Klinger, empruntant à l’iconographie symboliste (Le Réveil du Printemps, 1880).
L’île des morts, reproduite ci-dessus, peut être lue comme le testament artistique du peintre, vision funèbre pénétrante, dominée par cette lumière crépusculaire, habitée de ces silhouettes énigmatiques, symboles de l’art de Böcklin.


 Raphaëlle Stopin
31.10.2001