ArtAujourdhui.Hebdo
N° 65 - du 1 novembre 2007 au 7 novembre 2007
L'AIR DU TEMPS
Parcours du combattant
L’homme occidental, blasé, a besoin d’émotions fortes. On a vu naître diverses vogues, du tourisme de guerre (aller se promener dans les zones de conflit) aux hôtels installés dans d’anciennes prisons (par exemple à Oxford ou en Slovénie). Voici que l’art contemporain fournit aussi sa dose de frissons. Et pas seulement psychologiques comme dans une récente installation au Danemark où le visiteur décidait ou non de passer des poissons rouges vivants au mixer. On peut réellement se faire mal : plusieurs personnes se sont blessées légèrement lors de l’inauguration de l’installation de l’artiste colombien Doris Salcedo à la Tate Modern. Il s’agit d’une grande faille, du type de celles provoquées par les tremblements de terre, qui court tout au long du grand hall des turbines (la Tate Modern était une ancienne usine de production électrique). Les imprudents ont chuté dans l’abîme… Heureusement, l’art contemporain sait aussi fournir des moments de détente à ceux qui courent de tels dangers en l’explorant. Depuis le 1er novembre, il est possible de passer la nuit dans un hôtel juché au dernier étage du Palais de Tokyo. Dormir dans ce container dessiné par Sabina Lang et Daniel Baumann, où le client devient œuvre d’art (le lieu est en effet ouvert à la visite dans la journée), coûte à peine moins cher qu’au Meurice : entre 333 et 444 € la nuit.
MUSÉES
Le grand Prado est né
MADRID – On attendait depuis longtemps que le musée espagnol, l’un des plus riches au monde, joue enfin dans la cour des grands en termes d’espaces et d’équipement. C’est désormais chose faite. L’extension dessinée par Rafael Moneo, grand cube de brique, vient d’être inaugurée après dix ans de travaux et de polémiques. Elle fournira une galerie pour les expositions temporaires qui étaient auparavant à l’étroit dans l’historique palais de Villanueva. L’un des chefs d’opposition était le sort fait au couvent des Hiéronymites, datant du XVIIe siècle, qui est aborbé par l’agrandissement : son cloître a été remonté au dernier étage du bâtiment. Une nouvelle politique de gratuité a été annoncée : elle sera limitée à l’après-midi du dimanche mais sera étendue, tous les jours d’ouverture, pour les deux dernières heures de visite. Pour marquer l’événément, le Prado présente une riche sélection de son fonds de tableaux du XIXe siècle espagnol, dont beaucoup n’ont jamais été montrés au public.
Ungerer bon pour tous
STRASBOURG – Il n’est a priori guère facile de consacrer un musée à Tomi Ungerer (né en 1931), qui a aussi naturellement réalisé des livres pour enfant que ds vignettes érotiques ou des manifestes politiques. C’est pourtant le défi qu’a relevé la municipalité de Strasbourg, à partir des 8 000 dessins originaux donnés par l’artiste à sa ville natale depuis 1975. La scission se fait par étage : les œuvres pour enfants sont au rez-de-chaussée, le niveau supérieur présentant les dessins politiques (contre la guerre du Vietnam par exemple) et les œuvres de satire. Dans sa production abondante, Ungerer a aussi repris un thème cher à ses prédécesseurs de la Renaissance, la danse macabre. Les siennes donnent sur le jardin, à côté de Fornicon et d’assemblages un peu scabreux de poupées Barbie. Dans la villa Greiner, proche de la cathédrale, le musée se veut aussi centre international de l’Illustration. A côté des dessins d’Ungerer, présentés par roulement de 300 ou 400 tous les quatre mois, des expositions seront consacrées à d’autres illustrateurs contemporains.
EXPOSITIONS
L’Allemagne face au gouffre
PARIS – Otto Dix, Max Beckmann et George Grosz, en compagnie de Ludwig Meidner, sont les artistes célèbres convoqués par le musée Maillol pour faire le portrait d’une sombre époque. 1913-1939 : l’objectif est de montrer la décomposition d’une société minée par la violence, et qui entre dans le cauchemar hitlérien. De Dix, Grosz et Ludwig Meidner sont réunis trois poignants portfolios sur la Première Guerre mondiale : images d’horreur loin de la catharsis régénératrice qu’elle était supposée être, et qui poussent les artistes à abandonner le langage des avant-gardes pour retrouver les accents de Callot ou Grünewald. Parmi les 250 œuvres présentées, un bon nombre couvre aussi la république de Weimar, et son mélange improbable de chômeurs, d’esthètes décadents et jouisseurs et de militaristes brutaux. Elles permettent de montrer quelques tableaux d’artistes moins connus comme Gramatté, Felixmuller ou Steinhardt.
FESTIVAL
Images d’ailleurs
PARIS – A l’instigation du musée du Quai Branly, une nouvelle biennale de la photographie est née. Photoquai fédère plusieurs institutions parisiennes et vise à faire découvrir la création contemporaine dans le domaine de l’image fixe ou animée (vidéos) avec une spécificité : il ne s’agit que d’artistes non européens. Parmi les expositions intégrées dans cette première édition, certaines sont en intérieur : ambassade du Brésil (Carlos Freire et les indiens du Haut Xingu par Sebastião Salgado), ambassade d’Australie (le photographe aborigène Ricky Maynard), BNF (Trésors de la Société de géographie), Maison européenne de la photographie (installation de Rogerio Reis sur les violences dans les favelas), Centre culturel de la Chine (Liu Lei et Yuan Xue Jun). D’autres, suivant une mode qui sévit depuis quelques années, sont des accrochages extérieurs (passerelle Debilly, quai de l’Alma). C’est là qu’on aura le plus de chance de faire des découvertes avec 400 images de 70 photographes différents, pour la plupart inconnus.
L'ARTISTE DE LA SEMAINE
Jim Shaw : deux ex machina
PARIS – L’artiste californien (né en 1952) s’est facilement coulé dans la peau d’un démiurge. Depuis des années, l’un de ses projets consiste à créer un monde parallèle, une religion, l’ « Oïsme », avec tout son attirail de dogmes et d’interdites. Anticipant Second Life et tous les mouvements de réalité virtuelle qui fleurissent actuellement sur le dos d’internet et de la révolution numérique, Jim Shaw donne corps à l’Oïsme au moyen de films vidéo, qui rappellent volontairement les expériences amateur
des années 1970. Il conforte son univers au moyen de maquettes, d’objets qu’il confectionne, ou de tableaux anonymes qu’il réunit (comme à l’ICA de Londres en 2000). La rétrospective Jim Shaw est l’occasion pour la galerie Praz-Delavallade d’inaugurer son nouvel espace, rue Duchefdelaville : y sera présentée l’installation Vacuum Cleaners, curieux orchestre composé d’anciens aspirateurs, qui composent un chœur « oïste ».
LIVRES
Helman, Roumain de Paris
Il y a chez lui du Soulages, du Hartung, du Soutine si tant est que tout cela puisse cohabiter. Robert Helman (1910-1990) fait partie de ces artistes du milieu du XXe siècle, dont la notoriété n’a jamais dépassé certains cercles mais qui a mené un travail exigeant, loin des modes. Ses Forêts, ses paysages d’une Genèse imaginée fuient le figuratif et sont lourds de noirs et de couleurs sombres à pâte épaisse. Dans cette monographie illustrée, l’auteur replace Helman dans son réseau de relations, qui était étendu : ami de Bénézit, de Mané-Katz ou de Maurice Nadeau, il l’était aussi d’Oscar Domínguez et s’installa d’ailleurs dans l’atelier où ce dernier s’était pendu le dernier jour de 1957… Né en Roumanie, installé en France mais grand voyageur, Helman illustre parfaitement la dimension ouverte et cosmopolite de l’Ecole de Paris.
BRÈVES
CIRENCESTER (ANGLETERRE) - Un tableau estimé 1000 £ a été adjugé la semaine dernière 2,2 millions £ par la maison de ventes Moore Allen & Innocent. Ce Démocrite peint sur cuivre au XVIIe siècle pourrait être une oeuvre authentique de Rembrandt.
LONDRES - Selon les dispositions de son testament qui viennent d´être rendues publiques, le magnat des supermarchés Simon Sainsbury, décédé l'an dernier, a légué 18 tableaux de grands maîtres estimés plus de 50 millions d'euros (Gauguin, Monet, etc) à la Tate Gallery et à la National Gallery.
LONDRES - Une aquarelle de Winston Churchill, intitulée Marrakech, que l'homme d'Etat britannique avait offerte au président américain Truman, sera mise en vente chez Sotheby's le 13 décembre. Elle est estimée près d'un million d'euros.
PRINCETON - Suivant l'exemple du Metropolitan Museum et du Getty, le musée de l'université de Princeton vient de conclure un accord pour restituer à l'Italie des oeuvres d'art illégalement exportées. Sur ces 8 pièces, dont un vase apulien et un bas-relief étrusque, 4 resteront en prêt au musée jusqu'en 2011.
VALENCE (ESPAGNE) - Les pluies torrentielles de la seçaine dernière ont endommagé l'une des oeuvres maîtresses de Santiago Calatrava, le Palau de les Arts, et conduit à l'annulation d'une partie de la saison du plus grand opéra d'Europe.
SUR ARTAUJOURDHUI.INFO
Cette semaine, ne manquez pas
GEORGES RICARD-CORDINGLEY
BREST - Le musée de la Marine rend hommage à ce grand voyageur et aventurier des mers que fut Ricard-Cordingley. Né à Lyon en 1871, passionné par les mers froides, c'est auprès de l'aristocratie anglaise qu'il recueillit ses plus grands succès.
AUTOUR DU GLOBE
BRUXELLES – Dans le cadre d’Europalia, cette rétrospective au Palais des Beaux-Arts raconte, au travers de près de 200 objets exceptionnels, la grande aventure des explorateurs et découvreurs portugais de la Renaissance.
NICOLAS II ESTERHAZY, le prince collectionneur
COMPIEGNE - Membre d'une lignée qui exerça les plus hautes fonctions au sein de l'empire austro-hongrois, le prince Nicolas Esterhazy (1765-1833) enrichit considérablement la collection familiale, dont 200 pièces, de Goya à Callot, de Cranach à Guardi, sont exposés au château de Compiègne.
LE PRADO INAUGURE SON NOUVEAU BATIMENT
MADRID - Autour de l'ancien couvent des Hiéronymites, le musée du Prado vient de réaliser, avec l'architecte Rafael Moneo, le plus grand agrandissement de ses deux siècles d'histoire. Deux expositions - Le XIXe siècle au Prado et Vélasquez, les Fables marquent l'événement.
ANIMAL, UNE EXPOSITION DU MUSEE DAPPER
PARIS - Lions, crocodiles et antilopes, masques, statuettes et parures : en quelque 150 oeuvres provenant de nombreux musées européens et de collections privés, le musée Dapper examine la présence de l'animal dans l'imaginaire de l'Afrique noire.
CORRESPONDANCES
PARIS - Poursuivant sa série Correspondances qui confronte les grands maîtres de ses collections et les créateurs contemporains, le musée d'Orsay propose deux couples originaux : Emmanuel Saulnier - Odilon Redon et Jannis Kounellis - Jean-François Millet.
RODIN SCULPTURES
PARIS - Le bronze a constitué un matériau essentiel dans l'oeuvre de Rodin. Pour la première fois, le musée Rodin publie, en deux tomes, le catalogue raisonné intégral des 455 sculptures conservées dans ses collections.